Interviews

Faire l’histoire de l’université

Dans le cadre du 50e anniversaire, trois enseignants-chercheurs, Olivier Feiertag, Yannick Marec et Anne Bidois, travaillent à la publication d’un livre consacré à l’histoire de l’université. Olivier Feiertag nous donne un avant-goût de cet ouvrage.

Que cherche-t-on quand on « fait l’histoire » de l’université ?

Olivier Feiertag dans les archives de l'Université de Rouen

Avant tout, on vise à raconter une histoire. Avec un début, des épisodes successifs, un certain suspens aussi. Mais faire l’histoire d’une université, c’est aussi faire une recherche et essayer de répondre à plusieurs questions : que fabrique l’université comme savoirs et comme savoir-faire, quels sont nos points forts et nos points faibles dans ce domaine ? Qu’en est-il aussi de ceux qui apprennent, les étudiants, et de ceux qui dispensent le savoir, les enseignants ? Se pose également une question de plus en plus explicite : « comment gouverner une université, l’organiser, la gérer, la conduire avec une vision et un projet, c’est-à-dire une politique ? ». En effet, la gouvernance universitaire est très particulière, elle n’a pas d’équivalent exact : ce qu’elle produit n’est pas directement évaluable sous l’angle marchand. La « gouvernance » universitaire consiste à faire travailler ensemble, collectivement, des agents dont la créativité est fondée précisément sur leur liberté individuelle ! Enfin, nous posons la question des rapports de l’université et de son environnement, à plusieurs échelles, de la cité qui l’entoure au reste du monde, en passant par la région.

Justement, comment l’université s’inscrit-elle dans son territoire ?

On peut distinguer trois moments : la « préhistoire de l’université », avant le décret du 14 avril 1966 qui fonde en droit l’université de Rouen. C’est l’époque où Rouen, sur le plan universitaire, est la fille de Caen, métropole académique de la Normandie. Puis vient le moment de la création (des années 1960 aux années 1970) : l’université doit sortir de ses limites, mais elle reste isolée, rejetée sur les marges de la cité, sur le plateau nord du Mont Riboudet. À partir de cette situation de blocage et d’isolement, vient un troisième moment qui prend naissance dans les années 1980-1990 et s’épanouit pleinement dans les années 2000 : l’expansion de l’université, à toutes les échelles. L’échelle des quartiers, de l’agglomération avec le retour de l’université en ville, celle de la région au moment de la décentralisation et de la densification des liens avec le pouvoir régional, l’échelle mondiale même avec la croissance du service des relations internationales. Le nombre d’étudiants explose de même, dans une moindre mesure, que les budgets… Aujourd’hui, on peut se demander jusqu’où ira cette expansion, notamment dans le cadre de Normandie Université.

Comment aborde-t-on l’histoire d’une université qui a seulement 50 ans ?

Il faut travailler sur la notion d’université « nouvelle ». On distingue en effet plusieurs vagues de création d’universités dans le monde : la plus massive a lieu après la Seconde Guerre mondiale et culmine dans les années 1960. C’est pour cette grande vague, à laquelle appartient l’université de Rouen, que nous utilisons l’expression « université nouvelle », qui correspond à la vision d’un monde nouveau, « d’après guerre », avec un projet de société, de croissance, de démocratisation et de paix… Il est intéressant d’assumer cette notion, très optimiste, et de s’interroger sur ce qu’elle peut devenir.

 

Le risque de vieillissement et d’obsolescence n’est pas à exclure, mais cela constitue aussi un défi permanent, qui sous-tend la notion d’optimisme et l’exigence d’innovation. Cet esprit pionnier n’est pas le même avec les universités très anciennes, qui subissent davantage le poids du passé et des traditions.

Archive BU de Rouen

Qu’en est-il des sources de cette histoire ?

La question des sources est primordiale. Sans archives, pas d’histoire possible. C’est pourquoi nous avons lancé une campagne de récolement, c’est-à-dire de localisation, d’identification et d’inventaire des archives de l’université. Grâce à l’impulsion des services centraux et de toutes les composantes de l’université, notre équipe de jeunes chercheurs en histoire, bien conseillée par les Archives départementales, a déjà réalisé un formidable travail d’évaluation des richesses archivistiques qui dormaient dans les caves de la plupart des bâtiments de l’université. Mais les sources, ce sont aussi les archives orales et les sources iconographiques. Nous avons entamé une campagne d’entretiens biographiques avec plusieurs acteurs et témoins historiques qui, tous, dans leur diversité ont fait l’histoire de l’université : anciens présidents, enseignants-chercheurs, anciens étudiants, agents administratifs et techniques, etc.

L’histoire comme lieu de mémoire ?

Oui, c’est aussi dans cet esprit que nous avons entrepris la confection du livre destiné à marquer les cinquante ans de l’université et qui paraîtra au printemps prochain aux PURH. Cette histoire nous est commune, elle contribue à renforcer l’identité et la cohésion de l’établissement, le sentiment d’appartenance, notamment avec les anciens de l’université qui commencent à être très nombreux et sont présents partout dans le monde. Des encadrés dans l’ouvrage, confiés à de nombreux auteurs et distribués au fil de la chronologie et du récit,  permettront de présenter les différentes facettes de l’université, les lieux partagés, les récits de vie qui peuvent être ceux de tous et appartiennent à la mémoire collective, des événements transversaux, des moments où la communauté universitaire s’éprouve, comme mai 68 ou octobre 95 par exemple. En ce sens, l’histoire est aussi un gage d’avenir.

Éric Bénard, le portrait d’ « un révélateur du réel »

Dans le cadre des 50 ans de l’université de Rouen Normandie, Éric Bénard a réalisé 22 portraits photographiques, présentés dans le hall du Pôle Pasteur aux côtés du travail d’Isabelle Lebon et de Pierre Olingue. À cette occasion, il revient sur sa démarche, entre sociologie et poésie.

Pourquoi le travail photographique proposé par l’université, dans le cadre de son cinquantième anniversaire, vous a-t-il intéressé ?

Eric BÉNARD, photographeMa démarche aborde deux axes relativement distincts. La première approche, poétique, lie la photographie à d’autres moyens d’expression, comme la littérature. J’ai par exemple mené un travail sur Marguerite Duras, en livrant une interprétation personnelle de la relation entre son œuvre et les lieux de son enfance et de sa genèse créatrice en Indochine (actuels Cambodge et Vietnam). La deuxième approche relève davantage de la sociologie et de l’anthropologie, et s’incarne dans le portrait, en associant le texte et l’image.

 

Ma formation première, suivie à l’université de Rouen, est économique et par mon travail de portrait, je réalise en quelque sorte des typologies : Les gens de l’eau, Les gens du lin. Cette série consacrée aux « gens de l’université » s’inscrit pleinement dans cette démarche.

Comment avez-vous procédé pour réaliser votre travail photographique à l’université ?

Nous étions trois photographes : Isabelle Lebon, Pierre Olingue et moi-même. Nous avons sollicité un échantillonnage par grands lieux, afin de représenter les services, les composantes pédagogiques et les laboratoires. Chacune des entités contactées proposait ensuite une personne représentative. J’ai pour ma part travaillé à Pasteur, au Madrillet, aux services centraux et à l’IUT d’Elbeuf.
Avant chaque prise de vue, par téléphone puis en face à face, j’engageais une conversation avec le sujet photographique pour faire connaissance. Un portrait, c’est avant tout une rencontre avant d’être un visuel. Il s’agissait d’appréhender l’esprit de la personne photographiée et de déterminer le choix du lieu, pour établir un lien entre le sujet et son environnement.

Est-ce pour cette raison que vos portraits sont réalisés en pied, l’un de vos partis-pris ?

J’accorde en effet une importance toute particulière à la manière dont la personne habite son espace. Le portrait en pied inclut l’attitude corporelle et en dit beaucoup sur cela. J’accorde de l’importance également à l’esprit du sujet photographique. Il permet aussi de constater le vêtement, qui renseigne en partie sur la fonction et date la photographie.
Dans ma démarche, j’ai également privilégié les lieux de passage, des couloirs, des halls, des extérieurs, avec parfois du monde en fond, car l’université est un lieu d’échanges. Enfin, j’ai fait le choix du format carré qui, dans l’approche du portrait, va à l’essentiel : ce format concentré lui donne plus de force et de puissance, il permet de se départir du reportage et de jouer sur le hors-champ.

Avez-vous pu constater des spécificités universitaires ?

Jusqu’alors, dans mon travail du portrait, j’ai abordé la relation à un espace (le fleuve), une matière (le lin) mais les sujets photographiés venaient d’horizons très divers. Pour ce projet, l’ensemble des personnes appartenaient à la même structure : l’université. De manière générale, ils étaient tous très conscients de leur objectif, passionnés. J’ai été étonné notamment par la maturité des étudiants rencontrés.

Justement, qu’est-ce que vous apportent de telles rencontres au plan humain ?

J’éprouve avant tout de la curiosité quant à leur univers. J’aime connaître des environnements nouveaux et le « moteur » des personnes : qu’est-ce qui les motive, les fait bouger dans leur action au quotidien ? L’université de Rouen Normandie m’intéressait parce que j’y ai étudié. Je ne soupçonnais toutefois pas un environnement si complexe. J’ai pu comprendre l’itinéraire des personnes qui le font vivre, ce qui les amène à évoluer, à réaliser un parcours. C’est en cela que la démarche du portrait est anthropologique : elle n’a pas pour vocation de rendre visible mais de suggérer l’invisible dans la perception immédiate. C’est un révélateur du réel.

 

*Le travail de l’université, l’université au travail : portraits

Écrivaine en résidence

Par l’intermédiaire de la Maison des Écrivains et de la Littérature, l’Université de Rouen, pour fêter son 50e anniversaire, a invité une écrivaine à l’initiative du Service commun de documentation, Renata Ada-Ruata.

 

Elle a résidé jusqu’à fin mars 2016 sur le campus de Mont-Saint-Aignan où, s’imprégnant de ce qui l’entoure et un peu au-delà, a rédigé un texte. À cette occasion, elle a animé deux ateliers; le 2 février à 12h30 et le 4 février à 17h, dans la Salle d’Exposition de la Maison de l’Université.